2009-12-07 11:25:55 UTC
Rassurez-vous, je suis en vie et en parfaite santé, mais j’ai dû vous délaisser quelque temps, car j’ai été très pris par le boulot, pour lequel je me suis vu dans l’obligation de voyager aux quatre coins de la France, dans des contrées inconnues et hostiles, et même dans des forêts lointaines où l’on entend le coucou qui, du haut de son grand chêne, répond au hibou.
Le métier d’assureur n’est pas simple, croyez-moi. On tombe tantôt sur des sociétaires hostiles, à deux doigts de dégainer leur fusil de chasse quand vous leur annoncez que vous ne leur verserez aucune indemnité suite à la destruction de leur maison, tantôt sur des assurés joviaux et hospitaliers qui veulent à tout prix vous remercier de votre générosité en vous faisant goûter le digestif local qui sera, suivant la région où vous vous trouvez, de l’alcool de camembert, du spiritueux au potiron, ou de la liqueur de gland, cette dernière ayant fort justement un arôme qui rappelle, non pas le goût du fruit de l’arbre sous lequel Charlemagne rendait la justice à la Renaissance, mais plutôt la saveur d’une bite qui sortirait de l’anus de la fermière ayant concocté le breuvage sus-mentionné.
Bref, je viens de vivre une quinzaine particulièrement éprouvante, au cours de laquelle j’ai énormément bourlingué et fait de nombreuses rencontres.
Du coup, pour me détendre et me détacher quelque peu de mon activité professionnelle, j’avais prévu de passer mon week-end à Brest (29), pour rendre visite à mon jeune frère dont je vous ai déjà parlé.
Arrivé dans la capitale du pays d’Iroise vers vingt heures vendredi soir, je suis passé acheter une bouteille de vin dans une petite supérette de la rue Jean Jaurès (célèbre amiral ayant fait ses armes dans la marine au cours de la première guerre mondiale). J’ai mis près d’une demi-heure à faire mon choix, me tenant au beau milieu du rayon alcool, hésitant entre plusieurs bouteilles. Il était hors de question que j’arrive chez mon frère les mains vides. Toutefois, je ne souhaitais pas me ruiner pour lui d’autant plus que, connaissant l’énergumène, je savais pertinemment qu’il boirait le breuvage d’une traite, rappelant ainsi la manière dont certains hommes consomment leurs conquêtes féminines sans prendre le temps d’en apprécier ni la robe, ni la cuisse.
Au final, j’ai opté pour une bouteille de Première Côtes de Bordeaux assez bon marché, je suis allé à la caisse pour payer, et je me suis rendu chez mon frère.
Lorsque j’ai pénétré dans le petit appartement enfumé, j’ai pu me rendre compte immédiatement que mon frère était en compagnie d’un jeune homme au fort accent turque, qui s’est présenté comme étant le voisin du dessus.
Tout d’abord méfiant vis-à-vis de l’invité surprise qui se roulait des pétards gros comme la teube de mon ami Jean-Claude, j’ai fini par apprécier sa compagnie, bien qu’étant obligé de lui faire répéter une phrase sur deux.
Comme vous le savez, je combats fermement l’usage des drogues, et j’ai été quelque peu incommodé par le côté sans-gêne d’Izmir, qui ne prenait même pas soin de sortir ou d’ouvrir la fenêtre pour fumer ses cigarettes de Mort qui risquent, un jour ou l’autre, de l’entraîner vers une overdose qui pourrait lui être fatale.
Pour autant, l’homme était agréable et témoignait qui plus est d’une intégration parfaite au mode de vie occidental. J’ai ainsi pu remarquer qu’il avait englouti la moitié du saucisson à l’ail et qu’il semblait particulièrement apprécier le vin rouge, qu’il agrémentait d’un trait de whisky breton. Qui plus est, il m’a affirmé être supporter du MUC 72, et avoir vu Daniel Guichard en concert à de nombreuses reprises.
Vers 22 heures, alors que l’apéritif tirait à sa fin et qu’il n’allait pas tarder à prendre congé, nous avons commencé à discuter de nos activités professionnelles respectives et c’est seulement à ce moment là que j’ai appris, de sa propre bouche, qu’Izmir était actuellement sans emploi et qu’il lui était difficile d’en trouver un en l’absence de carte de séjour. Ma réaction spontanée a été de l’encourager à persévérer, et de lui souhaiter bonne chance au moment de lui dire au-revoir.
Mais, après deux jours de réflexion, je viens de prendre conscience du danger qui me guette suite cette rencontre. Car non seulement j’ai passé une partie de ma soirée avec ce clandestin, mais j’ai poussé le vice jusqu’à lui verser plusieurs rasades de vin. Les volets de l’appartement de mon frère étant restés ouverts lors de l’apéritif, j’imagine que certaines personnes mal intentionnées ont très bien pu observer la scène et me dénoncer auprès du ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale, voire même auprès d’un sous-secrétarait d’Etat aux questions Ottomanes.
Afin de rattraper le coup, j’envisage d’honorer mon devoir de citoyen modèle, en dénonçant le malotru. Dois-je écrire directement à Eric Besson, ou bien existe-t-il une sorte de sous-fifre qui s’occuperait de ce genre de problème, tel un Pierre Laval du XXIème siècle ?